ePatient

Publié le 9 juillet 2018 | Par Laurent Mignon

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e-santé, arrêtons de mettre le patient au centre !

À force de vouloir mettre le patient au centre de tout dispositif de e-santé (ou de santé d’ailleurs), celui risque bien de s’y retrouver tout seul à regarder l’ensemble des autres acteurs lui tourner autour. Telle est la principale leçon de la table ronde consacrée à l’intelligence collective et intitulée “Le patient contributeur, la véritable révolution de la e-santé” qui s’est tenue le 3 juillet dernier dans le cadre de l’Université d’été de la e-santé.

 

Et si on parlait de personnes et de lien social…

En préambule à cette table ronde, Isabelle Wachsmuth, chef de projet à l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) a tenu a rappelé « L’importance des systèmes de santé basé sur l’intelligence collective pour mettre non pas le patient au centre, mais la personne ». Illustrant ses propos par l’exemple de l’épidémie Ebola en République Démocratique du Congo, elle s’est attachée à montrer que, dans le domaine sanitaire, l’affaiblissement du lien social et de la confiance lié, notamment, à la négligence des interactions et des systèmes sociaux constitués, amplifie les crises.

C’est pourquoi l’OMS promeut une démarche permettant de gérer cette complexité et remettant l’humain au centre en tenant compte du tissu social et des relations avec celui-ci. Sans gestion de cette complexité, il n’y a pas de valorisation de la personne, de ses besoins et donc le risque est grand de ne voir aucun engagement de celle-ci vis-à-vis de son état de santé.

Au cœur de cette démarche réside la co-construction avec les populations d’un système de santé plus robuste et plus agile prenant en compte l’intelligence collective dans l’organisation et la planification des soins. Et ce d’autant plus qu’à l’heure du numérique en santé, l’intelligence collective peut s’appuyer sur un partage des connaissances sans rupture.

 

Vers un patient co-producteur du système de santé

Pour aller plus loin, s’éloigner du concept et entrer dans la pratique, Julie De Chefdebien, responsable du pôle MoiPatient au sein de l’association Renaloo, a présenté les objectifs et l’articulation de ce dernier. Réalisé dans le cadre d’un appel à projets de la Direction Générale de la Santé (DGS), MoiPatient repose sur deux axes principaux, deux plateformes web accessibles via un même portail.

La première plateforme permet aux personnes touchées par l’insuffisance rénale et à leurs aidants (dans un premier temps, par la suite, le projet sera étendu à d’autres maladies chroniques en commençant par le VIH) de construire des programmes de recherche participative ou chaque patient peut non seulement proposer des axes, des thèmes de recherche à explorer qui feront l’objet d’appel à projets, mais également devenir investigateur comme le sont les chercheurs et les médecins.

Pour la première séquence, la recherche de thématiques, de nombreuses propositions sont déjà venues enrichir le projet. La diversité et l’étendue des propositions (nutrition, accès à l’assurance, gestion de la douleur, relation aux soignants, difficultés pour enfanter pour les jeunes femmes greffées…) démontrent l’apport de l’appel aux patient co-producteurs via le numérique, celui-ci permettant de s’affranchir des questions d’agenda, de localisation…

La seconde plateforme web a pour objectif de permettre aux patients d’évaluer leur prise en charge via des grilles co-construites avec les professionnels de santé et les établissements et la possibilité pour les établissements de répondre aux commentaires (ceux-ci étant par ailleurs modérés).

Sur le même principe, Laure Gueroult-Accolas, Présidente de l’association Patients en réseau, a mis en évidence l’apport des échanges entre patients qui sont facilités via les plateformes web. De fait, « la maladie n’est qu’une toute petite partie de moi. Mais elle va impacter mon environnement proche, professionnel et social. Là, la communauté de patients peut éclairer de ses expériences, orienter vers des acteurs spécialisés »a-t-elle ainsi indiqué.

Rebondissant sur les différents propos, Pierre Mignot, Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication, et chercher au LERASS (Laboratoire d’Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales, Université de Toulouse 3) a indiqué que les problématiques rencontrés par les patients, notamment dans le cadre de MoiPatient, étaient assez proches de celles rencontrées par les chercheurs en sciences sociales via les méthodes de recherche / action.

Pour lui, le numérique en santé change la donne car les patients ont évolué plus vite que le corps médical et ce d’autant plus que les membres de ce dernier utilisent un langage spécifique, technique et de plus en plus spécialisé.

Pour Isabelle Wachsmuth, il s’agit également d’un problème d’enseignement : « L’intelligence collective n’est pas enseignée en faculté de médecine, comment peut-on demander à des professionnels de santé d’avoir une attitude, si celle-ci ne leur a pas été enseignée, si des modules sur l’engagement auprès des patients ne sont pas intégrés dans les programmes ? ».

Pour Laure Gueroult-Accolas, l’intelligence collective c’est aussi apprendre des autres. Elles notent d’ailleurs que de nombreux progrès dans le domaine de la cancérologie et de la relation médecin-patient, les consultations d’annonce par exemple, sont issus d’autres maladies chroniques, de travaux d’associations de patients ou de professionnels de santé issus d’autres domaines. Pour elle, le développement des nouveaux traitements, des chimiothérapie orales, de l’ambulatoire, pose de nouveaux défis d’information (des traitements plus pointus, moins connus, moins maitrisés des médecins généralistes et des pharmaciens officinaux) auxquels seule l’intelligence collective permettra de répondre.

En conclusion, Isabelle Wachsmuth a indiqué « La santé publique, ce n’est pas que de la statistique. C’est d’abord maintenir en bonne santé. Il est donc nécessaire de s’interroger au-delà des données brutes pour inscrire le tout dans un système ». La e-santé permet ceci si elle se base sur une stratégie nationale co-produite et adaptée à chaque territoire social prenant en compte chaque personne au sein de sa famille et de sa communauté.

Plaidons donc pour que, dès demain, le patient ne soit plus au centre de la e-santé, mais en devienne le co-producteur.

Un principe qui a traversé l’ensemble de cette douzième édition de l’Université d’été de la e-santé comme en témoignent les propos du Dr Aurélien Lambert, oncologue et co-fondateur de Pandalab, lors de la table ronde “Ville-Hôpital : quelle intelligence organisationnelle mettre en place ?” : « Le médecin n’est pas au-dessous, ni au-dessus du patient, c’est une équipe ».

 

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A propos de l'auteur

Co-fondateur et directeur de LauMa communication, la e-santé m'interpelle depuis quelques années. J'essaie d'y contribuer en favorisant la diffusion de l'information et en m'impliquant dans des associations telle que Le Lab e-Santé (Isidore Internet et Santé), en tant que membre de la commission service du pôle de compétitivité Cap Digital ou en qualité de Délégué général de France eHealthTech, l'association regroupant les startups de la e-santé.



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