Santé mobile

Publié le 10 juin 2015 | Par Laurent Mignon

1

De l’application mobile de santé au dispositif médical

La quasi-totalité des mApps (ou applications mobiles de santé) disponibles sur les principaux stores de téléchargement ne sont pas des dispositifs médicaux et n’ont donc pas de marquage CE. Pourtant, certaines d’entre elles offrent des possibilités qui pourraient les faire assimiler à cette catégorie de produits de santé. Des produits de santé régulés, contrôlés et contrôlables, pouvant même être pris en charge, remboursés, par l’Assurance maladie dans certains cas.

Alors pourquoi ces applications ne sautent-elles pas le pas ? Plutôt que d’analyser leurs raisons, tournons-nous quelques instants vers une application qui, elle, a décidé de devenir un dispositif médical et est donc en quête de son marquage CE, +WoundDesk, et échangeons vers avec le CEO de la startup suisse digitalMedLab, le Dr Patricia Sigam, qui l’a conçue.

A noter, la démarche entamée a ceci de particulier que pour financer ce marquage CE, + digitalMedLab a décidé de recourir au crowdfunding via la plateforme Wellfundr. Eh oui, on est une startup ou on ne l’est pas !

Patricia, bonjour, tout d’abord, en quoi +WoundDesk peut-être qualifiée de dispositif médical et dans quelle classe entre-t-elle selon vous ?

(Les dispositifs médicaux sont organisés en 4 classes de I à III en passant par IIa et IIb, selon leur niveau de dangerosité) 

+WoundDesk est une application mobile, disponible sur iPhone ou sur Android pour les para-médicaux et également via une plateforme web pour les médecins, qui réalise la mesure automatisée de la surface de la plaie et présente l’évolution de la cicatrisation. Il s’agit donc d’une solution mobile complète pour une prise en charge professionnelle des plaies permettant de réduire la durée de cicatrisation, de gagner du temps et de diminuer les erreurs.

Les informations produites par l’application sont utilisées pour la prise de décision (renvoi à l’hôpital par exemple en l’absence de progression). De fait, une erreur dans l’information fournie pourrait entrainer une mauvaise décision, c’est pourquoi il s’agit d’un dispositif médical de classe I, c’est à dire présentant un risque modéré. Dans le jargon des experts, on parle même de classe Im, le m signifiant «mesure», mais cette classe n’existe pas de façon officielle.

Pensez-vous indispensable d’obtenir ce marquage alors que de nombreuses mApps, même certaines destinées aux professionnels de santé et présentant des caractéristiques proches, ne font pas cette démarche ?

Pour la sécurité des patients ainsi que pour nous permettre de dormir tranquille, il est essentiel de démontrer que notre solution est fiable et scientifiquement validée. C’est pourquoi nous tenons absolument à qualifier et certifier notre application.

Pour ce faire, nous accomplissons un travail de recherche dont les premiers résultats ont déjà été présentés lors du congrès Med@Tel 2015 de l’International Society for Telemedicine & eHealth et ont été publié dans la revue de la même société savante[1]. Notre étude sera aussi présentée en septembre lors de la journée EUPUA, le groupe d’experts européens pour la prise en charge des escarres.

De plus, nous considérons le marquage CE comme une preuve de qualité qui aide les utilisateurs à faire la différence entre les différentes solutions proposées sur le marché.

Sur des aspects concrets, sachant que votre société est suisse, a quel organisme notifié pensez-vous faire appel pour l’obtention du marquage CE ? Le LNE-Gmed en France, un TÜV allemand… Quels sont les critères de votre choix si celui-ci est fait ?

Le marquage CE est une procédure européenne, qui peut être validée par un grand nombre d’organismes. De nouvelles dispositions vont prochainement être prises pour limiter et assurer la qualité des organismes de certification. En Suisse, il existe aussi certains organismes certifiés.

Notre conseil, pour toutes les startup qui elles aussi souhaitent s’engager dans la voie du marquage CE, est de faire appel à des organismes connus pour leur qualité. La certification est une procédure continue et la législation est en train de réduire le nombre d’organismes certifiés. Il y a donc un risque pour les startup qui auraient choisi de délocaliser la certification, en raison du cout et d’exigences plus basses, de voir leur certification remise en cause dans quelques années, au moment du renouvellement de la certification, si elle est réalisée par un autre organisme.

Il ne faut jamais oublier que le marquage CE n’est pas attribué à vie et qu’il peut être remis en cause à tout moment par les autorités sanitaires.

L’opération de crowdfunding sur Wellfundr a pour objectif 5 000 €. Ce montant correspond-il intégralement aux frais liés au marquage CE ? J’imagine qu’il ne couvre que la partie “administrative” de celui-ci et non pas les différentes normes et certifications, les études cliniques liées à l’application, etc. En définitive, pouvez-vous évaluer le cout global du marquage CE et nous en indiquer le montant ?

Les frais de certification sont directement liés à la classe du dispositif médical, classe liée au risque pour le patient. Dans certains cas, mais pas toujours, des études cliniques sont nécessaires. Dans notre cas, les études cliniques ont déjà été réalisées en collaboration avec l’Institut de Santé Globale de l’Université de Genève.

Le montant que nous souhaitons collecter via Wellfundr correspond donc aux frais administratifs. D’autre part, il est impossible d’évaluer le budget réel d’une telle démarche. Elle comprend des coûts directs, des études, la préparation des dossiers, la formation des équipes… De plus, la certification est une procédure qui commence au moment du concept et du développement du dispositif, car il doit avoir se déroulé selon les normes ISO. Dans une startup, on a une idée, on se jette dans le développement et on voit après ce qu’il se passe. Or, une certification en fin de parcours est toujours beaucoup plus coûteuse. Il faut y penser dès la conception du service, de l’application mobile, de la plateforme web.

Il est important de rappeler que les solutions de santé digitale doivent toujours intégrer la dimension de risque pour la santé du patient. Des solutions qui sont uniquement technologiques, mais qui ne tiennent pas compte des conséquences réelles sur la santé du patient sont dangereuses. Pour exemple, je citerai certaines applications mobiles pour la détection du mélanome qui en raison de leur manque de précision détectent des cancers qui n’en sont pas et parfois ne détectent pas certaines lésions cancéreuses comme l’ont montré différentes études.

Le marquage CE n’est qu’une étape dans la vie d’une application mobile de santé, d’un “stand alone software” pour reprendre l’appellation réglementaire et communautaire. Quelles sont les prochaines étapes de votre développement ?

Avec le marquage CE, nous allons lancer la version payante de notre application qui comprendra des fonctionnalités étendues. Celles-ci sont déjà en cours d’essai et seront prêtes d’ici la fin de l’année. Parallèlement, nous continuons notre travail de recherche pour l’amélioration de la prise en charge des plaies en partenariat avec l’École Polytechnique de Zürich.

Nous travaillons aussi activement à l’intégration de notre solution dans des systèmes existants comme le DPI de la compagnie iHealth ou la plateforme de Qualcomm.

 

PS : Il y a quelques heures, la 1re journée consacrée aux startup innovantes du SNITEM, le syndicat des entreprises de technologies médicales, s’est clôturée. Alors, pourquoi ne pas aller plus loin que la mise en place d’une journée d’échanges ? Entreprises de technologies médicales, SNITEM, acteurs du dispositif médical, si vous croyez au marquage CE, démontrez-le et soutenez la démarche de digitalMedLab en participant à la collecte sur Wellfundr. Il vous reste plus de 30 jours pour transformer une application mobile de santé, WoundDesk, en un dispositif médical !

 

[1] “Accuracy and reliability of wound surface area measurement using mobile technology” Global Telemedicine and eHealth Updates — Knowledge Resources, Internal Society for Telemedicine & eHealth, Vol. 8, 2015, p. 57-61

Tags: , , ,


A propos de l'auteur

Co-fondateur et directeur de LauMa communication, la e-santé m'interpelle depuis quelques années. J'essaie d'y contribuer en favorisant la diffusion de l'information et en m'impliquant dans des associations telle que Le Lab e-Santé (Isidore Internet et Santé), en tant que membre de la commission service du pôle de compétitivité Cap Digital ou en qualité de Délégué général de France eHealthTech, l'association regroupant les startups de la e-santé.



One Response to De l’application mobile de santé au dispositif médical

  1. En effet, il y a de plus en plus d’applications santés qui apparaissent et commencent à révolutionner la santé numérique, voire le monde de la médecine. Et c’est justement pour cela qu’il faut prendre les mesures nécessaires pour garantir leur fiabilité. Mais pourquoi les développeurs de ces applis sont-ils réticents à l’idée d’obtenir le marquage CE ? Etes-vous sûrs que les procédures pour ce faire ne sont pas trop contraignantes ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut de page ↑